Deux poèmes de l'hiver
L'hiver et la neige parlent à nos cœurs
L’hyver
Mes volages humeurs, plus sterilles que belles, S’en vont ; et je leur dis : Vous sentez, irondelles, S’esloigner la chaleur et le froid arriver. Allez nicher ailleurs, pour ne tascher, impures, Ma couche de babil et ma table d’ordures ; Laissez dormir en paix la nuict de mon hyver. D’un seul poinct le soleil n’esloigne l’hemisphere ; Il jette moins d’ardeur, mais autant de lumière. Je change sans regrets, lorsque je me repens Des frivoles amours et de leur artifice. J’ayme l’hyver qui vient purger mon cœur de vice, Comme de peste l’air, la terre de serpens. Mon chef blanchit dessous les neiges entassées, Le soleil, qui reluit, les eschaulfe, glacées. Mais ne les peut dissoudre, au plus court de ses mois. Fondez, neiges ; venez dessus mon cœur descendre, Qu’encores il ne puisse allumer de ma cendre Du brazier, comme il fit des flammes autrefois. Mais quoi ! serai-je esteint devant ma vie esteinte[1] ? Ne luira plus sur moi la flamme vive et sainte, Le zèle flamboyant de la sainte maison ? Je fais aux saints autels holocaustes des restes[2]. De glace aux feux impurs, et de naphte[3] aux célestes : Clair et sacré flambeau, non funèbre tison ! Voici moins de plaisirs, mais voici moins de peines. Le rossignol se taist, se taisent les Sereines[4] : Nous ne voyons cueillir ni les fruits ni les fleurs ; L’espérance n’est plus bien souvent tromperesse ; L’hyver jouit de tout. Bienheureuse vieillesse, La saison de l’usage, et non plus des labeurs ! Mais la mort n’est pas loin ; cette mort est suivie D’un vivre sans mourir, fin d’une fausse vie : Vie de nostre vie, et mort de nostre mort. Qui hait la seureté[5], pour aimer le naufrage ? Qui a jamais esté si friant de voyage. Que la longueur en soit plus douce que le port ?
Théodore Agrippa d’Aubigné (1552-1630) - Petites Œuvres Meslées.
[1] Avant que ma vie soit éteinte. [2] Sous-entendu, de ma vie. [3] Matière très inflammable comme on sait. [4] Sirènes. [5] Sûreté.
Théodore Agrippa d’Aubigné est écrivain controversiste et poète baroque français. Il est notamment connu pour Les Tragiques, poème héroïque racontant les persécutions subies par les protestants.
Ennemi acharné de l'Église romaine, critique vis-à-vis de la cour de France et souvent mal disposé à l'égard des princes, il s'illustra par son attachement farouche à la France protestante. Refusant tout compromis, d’Aubigné finit par être contraint de quitter la France, en 1620, après la condamnation de son Histoire universelle depuis 1550 jusqu’en 1601 par le Parlement. Il se retire alors à Genève, où est publié l’essentiel de ses œuvres.
Son oeuvre littéraire, méconnue de ses contemporains, sera redécouverte à l’époque romantique, notamment par Victor Hugo, puis par le critique Sainte-Beuve.
Il fait froid
L’hiver blanchit le dur chemin Tes jours aux méchants sont en proie. La bise mord ta douce main ; La haine souffle sur ta joie. La neige emplit le noir sillon. La lumière est diminuée… Ferme ta porte à l’aquilon ! Ferme ta vitre à la nuée ! Et puis laisse ton cœur ouvert ! Le cœur, c’est la sainte fenêtre. Le soleil de brume est couvert ; Mais Dieu va rayonner peut-être ! Doute du bonheur, fruit mortel ; Doute de l’homme plein d’envie ; Doute du prêtre et de l’autel ; Mais crois à l’amour, ô ma vie ! Crois à l’amour, toujours entier, Toujours brillant sous tous les voiles ! A l’amour, tison du foyer ! A l’amour, rayon des étoiles ! Aime, et ne désespère pas. Dans ton âme, où parfois je passe, Où mes vers chuchotent tout bas, Laisse chaque chose à sa place. La fidélité sans ennui, La paix des vertus élevées, Et l’indulgence pour autrui, Éponge des fautes lavées. Dans ta pensée où tout est beau, Que rien ne tombe ou ne recule. Fais de ton amour ton flambeau. On s’éclaire de ce qui brûle. A ces démons d’inimitié Oppose ta douceur sereine, Et reverse leur en pitié Tout ce qu’ils t’ont vomi de haine. La haine, c’est l’hiver du cœur. Plains-les ! mais garde ton courage. Garde ton sourire vainqueur ; Bel arc-en-ciel, sors de l’orage ! Garde ton amour éternel. L’hiver, l’astre éteint-il sa flamme ? Dieu ne retire rien du ciel ; Ne retire rien de ton âme ! 31 décembre 18...
Victor Hugo (1802-1885) - Les contemplations
Qui ne connait Victor Hugo, cet immense poète et écrivain du romantisme français ? J’ai souvent l’impression d’entrer dans son oeuvre gigantesque comme on entre dans l’édifice grandiose de celle de Bach le compositeur allemand, tant elle est diverse, et couvre tous les genres littéraires : roman, poésie, théâtre, essai, etc… avec une passion du Verbe, un sens de l'épique et une imagination féconde. De lui j’aime particulièrement sa Légende des Siècles, grand cycle épique traversé de visions et de fulgurances poétiques.
Ici Victor Hugo se sert de la métaphore de l’hiver pour évoquer la haine, cet hiver du cœur. Il nous invite à garder vivant le flambeau de l’amour, presque divin, et à opposer notre douceur sereine aux démons d’inimitié qui parfois nous environnent.
Quel beau message à méditer en ces temps troublés !




